Rachid Ennassiri A El Jadida dans les années 70 et exactement dans la grande place considérée comme le point névralgique de la ville, l’horloge accrochée a l’arcade centrale de l’une des bâtisses s’arrêta brusquement de fonctionner. Il était exactement 5 heures moins 20’ de l’après midi. Le lendemain on fit appel au seul technicien de la ville qui connaissait les mécanismes de fonctionnement de la dite horloge…..vainement...Il était en vacances…et pour longtemps. Il est vrai que de nos jours, cela peut paraître totalement anodin, mais lorsque l’incident se produisit les nostalgiques et habitués de la place eux, furent pris de panique de peur que l’incident ne perdure. Ils savaient parfaitement quel rôle jouait cette horloge dans leur vie, organisant ainsi certaines de leurs activités, leurs balades, rendez-vous galants ou pas et surtout leurs interminables moments de loisirs. Ils prenaient leurs décisions en jetant un simple coup d’œil sur elle (- Quelle heure est-il ?-il est midi, on paye le café et on s’en va, n’oubliez pas, aujourd’hui c’est le 21 juin)…quelques minutes plus tard….ils participaient déjà aux festivités de l’ouverture officielle de la plage. - C’est tout à fait normal jusque là... - Pas du tout …pour ces habitués, leur vie alla totalement changer…le temps s’est arrêté à 5h moins 20’ et désormais à El Jadida, il est toujours 5h moins 20’.Ils ne pouvaient plus rien décider. Quitter la terrasse de café à 6hrs de l’après midi…ils ne pouvaient pas. Aller au théâtre municipal juste en face pour y voir jouer par le TNP la pièce « la magie noire » …assister aux séances du ciné club ou celles de la série « connaissance du monde » …se préparer pour aller le soir au bal dansé animé par l’orchestre «The Fingers »… faire leur randonnée quotidienne pour assister au spectacle des bateaux de pêche quittant le port ou bien au fameux concert des mouettes qui accompagnaient ceux qui y entraient…ou tout simplement se délecter de quelques sardines grillées… et au retour du port savourer les fameux gâteaux éclairs de Mme Philippe….Non..Tout ceci ils ne pouvaient plus le faire car pour eux «il est toujours 5h moins 20’». Ils ne pouvaient non plus régler leur montre sur l’horloge en panne (d’ailleurs la plupart n’en possédait pas..). Ils ne pouvaient même plus quitter la terrasse de café… et cela dura un bon bout de temps …tandis qu’ eux Ils étaient toujours là. - Ah…voila, maintenant c’est plus intéressant - Pour eux ,il n’y avait plus de gymkanas ...plus de régates de bateaux à voile …ni de spectacles sur la place, plus de Fahdballan (personnage illustre d’animation ) avec son fameux refrain (wa chrah laha), et Tiraby lafdiha (autre personnage ) qui réagissait agressivement chaque fois que le mot fdiha fut prononcé au grand bonheur des enfants.. …plus rien de tout cela… même pas le moindre souvenir , à tel point que cela alla altérer leur mémoire… -Tu veux dire qu’ils n’avaient plus de mémoire…Triste sort…que Dieu nous en préserve … - Il leur a fallu attendre assez longtemps avant que le technicien ne revienne enfin de vacances … Par contre lui, il ne mit pas beaucoup de temps pour réparer l’horloge… un seul tour dont il était le seul a connaitre le secret pour remettre les pendules à l’heure. - Lhamdoulillah… - Oui mais tout ce temps ne fut pas sans conséquences pour la place .Elle ne se souvenait plus à quel moment et comment s’était développé en elle et autour d’elle un tel chaos. Elle assistait impuissante à l’arrivée massive des marchands ambulants, au délabrement de ses ruelles, au désastre esthétique de ses façades soudainement construites, ainsi qu’a ces interminables et horribles terrasses de café et de commerce .Elle demeura ainsi sans réponses …sans même comprendre cette perte d’une partie de sa mémoire et finit par en devenir malade. Entre temps…et c’est le cas de le dire, notre ville la pauvre…avait pris beaucoup de retard. -C’est la , une triste histoire mon cher ami…. Nous décidâmes d’octroyer une bonne note à notre ami qui venait de finir son récit…nous qui avions l’habitude de nous attabler au café de France de la place pour y échanger quelques bons souvenirs a condition de les raconter avec un certain décalage (structure narrative exigée par nous même). Alors qu’on s’apprêtait à quitter la terrasse du café, arriva devant nous un autre personnage de la place , le plus illustre celui-ci, et sans aucun doute le plus attachant: Mouihia. Il se dressa bon an mal an devant nous en se forçant de retrouver a tout instant son équilibre… Il exhiba sa veste ornée par une multitude de capsules provenant des différentes boissons et limonades, nous fixa longuement et attentivement des yeux (quand il le pouvait) …et resta muet … pas un seul mot… Il était ainsi Mouihia ,trop fier pour tendre la main ou vous demander quoique ce soit. Il ne parlait presque jamais. Il attendait…. L’un de nous essaya de lui extirper quelques mots, histoire de détendre un peu l’ambiance: -Dis nous Mouihia, est ce que tu te souviens de cette histoire de 5h moins 20 à El Jadida. Il fit un pas en arrière, un pas à droite, un pas à gauche, retrouva enfin son équilibre et au moment de s’éclipser , il rétorqua d’un air moqueur: -Mais pour moi...Il est toujours 5h moins 20’…. Au moment de nous quitter, nous fumes surpris par un autre ami qui nous promit de raconter la suite de cette histoire le lendemain. On savait que notre exercice de « nous souvenir autrement » devenait de plus en plus intéressant, mais pas jusqu'au point ou il y aurait une telle continuité. Cela devenait autre chose… Rachid Ennassiri « Se souvenir autrement » All Rights Reserved to Rachid Ennassiri et Said El Mansour Cherkaoui Editeur: Said El Mansour Cherkaoui Archives |
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